L’art véritable est thaumaturgie, le moi-démiurge est empli d’amour…
J’ai toujours considéré la peinture, l’art, comme un traitement, a priori pour son auterur, puis pour les autres. L’artiste est à la fois médecin et patient. – Bruno Ceccobelli Tel que l’indique l’épigraphe, Bruno Ceccobelli conçoit l’art tel un traitement thaumaturgîque, c’est à dire, une guérison miraculeuse. Mais quel mal quérit-il? Que veut dire être sain? Il parle de l’art comme d’une «médecine», mais pour traiter quel malaise, pour apporter quelle cure? L’allusion de Ceccobelli à son «moi-démiurte», une idée gnostique de base, suggère que pour lui le melleur art, le seul art, est essentiellement gnostique de nature et d’intention. II offre une révélation mystique de la lumière de Dieu, la grâce salvatrice en ce monde de noirceur. Claudio Verna remarque que Ceccobelli utilise «neaucoup de mots tirés du langage religiux». Ceccobelli dit lui-même qu’il est «croyant, mais un mauvais croyant… même un pécheur religieux». L’aspect apparemment contradictoire de cette déclarationfait écho à l’idée selon laquelle l’artiste est à la fois médecin et patient, mais son élément important est que la notion d’art perçu comme croyance et péché (non-croyance) en soit une à teneur gnostique. C’est-à-dire qu’elle n’est compréhensible que selon la distinction gnostique faite entre Dieu et le démiurge.
Le gnosticisme propose un univers dualiste, divisé entre les forces du bien, représentées par le pleroma, ou le royaume de la lumière, et les forces du mal, représentées par la noirceur de la patière, qui est fondamentalement mauvaise. Selon la croyance gnostique, Dieu n’a pas créé le monde, puisque Dieu est lumière et bien, c’est-à-dire esprit pur, tandis que le monde est noirceur, mal, et matière-fondamentalement pécheur. Le monde a été créé par le démiurge, une force démoniaque. Dieu et le démiurge son éternellement oppoàsés, tout comme le sont la lumière et la noirceur. Le monde est étranger à Dieu, puisque c’est une création du démiurge. II n’est que matière, alors que Dieu est esprit pur. Cette division entre Dieu et le démiurge, lumière et noirceur, esprit pur et monde matériel, existe dans l’inconscient de l’être. Le gnosticisme prétend qu’à l’origine l’être était consubstantiel avec Dieu, mais que, suite à une chute tragique, il est tombé dans le monde de la matière. Dans son intimité la plus profonde l’être est tout aussi étranger au monde que ne l’est Dieu, bien qu’il ne soit apparemment que matière. Le gnosticisme croit que l’esprit originel de l’être – sa vraire nature – peut lui être rendu par Dieu, qui se manifeste par la lumière intérieure. Ceci est la révélation gnostique. Par elle, l’être transcende le monde, prenant conscience qu’il est fondamentalement pur, esprit immatériel, retournant ainsi à son état originel. Mais il est clair que, jusqu’à la révélation rédemprice, l’être est lumière et noirceur, esprit et matière, bien et mal, croyant et pécheur à la fois, sain et malade simultanément.
En fait, le gnosticisme prétend que le monde matériel a été créé par un accident démoniaque – on pourrait dire que c’est un accident de l’art démiurge – et qu’il sera détruit par un autre accident démoniaque. Le but de la vie est de se préparer à cette destruction en atteignant l’illumination qui nous permettra de lui survivre. Ce n’est pas l’illumination philosophique – résultat d’une compréhension théorique du monde, atteinte par observation et analyse – mais plutôt une intuition de l’être dans tout ce qu’il a de mystérieux. En unsens, la révélation gnostîque est une expérience de conversion, au cours de laquelle l’être est spontanément libéré de la noirceur et du matérialisme du monde par la lumière et l’esprit de Dieu, qui se trouve être à l’intérieur et à la base même de l’être.
Dans le présent assai, nous étudions l’art de Ceccobelli par le biais de son gnosticisme. Ses «images conceptuelles», puisqu’il faut les appeler ainsi (il avoue devoir beaucoup au conceptualisme), reflètent les deux aspects du gnosticisme: la contradiction et la guerre entre esprit et matière, Dieu et démiurge, lumière et noirceur (l’aspect manichéen du gnosticisme); et la révélation, expérience de conversion curative au cours de laquelle le conflit entre noirceur et lumière se tésout en une transition de la noirceur à la lumière. Pour lui, l’art est un passage mystique vers le salut et la guérïson, même s’il est chargé de péchés et de souffrances. L’art de Ceccobelli est déchiré par ce dilemme gnostîque, reflétant le conflit caractéristique de la recherche du salut par l’art, et l’incertitude d’une solution possible, à savoir si le bien triomphera du mal, si l’être trouvera Dieu ou s’il restera à jamais prisonnier de son côté démoniaque. Bien que son art puisse, ultimement, être une forme de guérison religieuse, il apparaît à première vue comme la maîtrise démiurge du monde matériel. Essentiellement rusé, il semble plus démoniaque que divin. L’art de Geceobelli, comme tout art sacré – comme l’art sacré de Rome qui l’a influencé de façon subliminale – lutte constamment pour résoudre cette ambiguïté et devenir un véritable miracle gnostîque. Son art devient, en fait, ce rare phénomène où une création démiurge agit comme signe de la révélation gnostique. II semble montrer le démoniaque devenant divin – le démiurge travaillant à des miracles artistiques au nom de Dieu. Il montre, tel que le dit lui-même Ceccobelli, la transformation alchimique de l’immonde prima materia en ultima materia spirituelle. (Jung remarque que la tgransfor-mation alchimique n’est pas simplement l’émergence de l’être de la noirceur de l’inconscience vers la lumière de la conscience, mais la transformation de la noirceur de l’inconscience en lumière consciente, c’est-à-dire, la conversion du démoniaque en divin).
Donald Kuspit
1993